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“Justice pour les victimes du naufrage du 24 novembre 2021 !”

Texte lu en introduction de la marche commémorative organisée le 24 novembre 2023, à Dunkerque.

“Le 24 novembre 2021, 33 personnes embarquées à bord d’un zodiac ont tenté de rejoindre le Royaume-Uni, en partant des côtes dunkerquoises. Ces 33 personnes venaient majoritairement du Kurdistan irakien, mais aussi d’Afghanistan, d’Éthiopie, d’Iran, d’Égypte, de Somalie et du Vietnam.

Pour cette seconde marche, deux ans jours pour jour après ce naufrage, est-il encore utile de rappeler ce qu’il s’est passé lors de cette terrible nuit et comment, trois heures après le début de la traversée, cette embarcation s’est trouvée en difficulté ?

« Ah bah t’entends pas, tu seras pas sauvé »

Est-il encore nécessaire de préciser qu’entre 1h48 et 4h34 du matin, les naufragé·es ont tout fait pour alerter le Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (Cross) Gris-Nez, qui coordonne les opérations de secours côté français ?

Faut-il encore indiquer que, malgré ces appels de détresse répétés durant ces heures cruciales, les opérateurs du Cross ont refusé de lancer une opération de sauvetage ? Est-ce encore permis de rappeler qu’à 4h16, le Cross est même allé jusqu’à dissuader un tanker -un navire commercial- d’intervenir pour secourir les personnes en train de se noyer ?

Faut-il encore rappeler les propos d’un cynisme terrifiant d’une opératrice du Cross qui, en réponse à l’appel d’un des naufragé·es, a prononcé cette phrase : « Ah bah t’entends pas, tu seras pas sauvé ». Enfin, est-il indispensable de se remémorer que, quelques jours après le naufrage, le préfet de la Manche et de la mer du Nord a adressé un courrier aux opérateurs du Cross pour les féliciter de leur action le 24 novembre 2021 ?

Ce que l’on connait peut-être moins, ce sont les suites de cette nuit d’horreur et comment les familles et proches de victimes, épaulées par l’association Utopia 56, ont décidé de porter plainte contre les autorités françaises pour « homicide involontaire » et « omission de porter secours ».

Dans le cadre de l’enquête pénale, cinq militaires du Cross Gris-Nez et deux membres d’équipage du navire patrouilleur français Le Flamant ont été mis en examen les 25 mai et 1er juin 2023. Ce que l’on oublie peut-être de dire, c’est de quelle manière, lors de leurs auditions, ces 7 militaires ont assumé toutes les décisions prises au cours cette nuit, sans aucune remise en question de leur action.

« Sincèrement les deux mecs… j’aurais préféré qu’ils soient morts »

Ce que l’on sait peut-être moins également, c’est comment la hiérarchie militaire des opérateurs du Cross était déjà au courant de ces mises en examen avant qu’elles n’aient lieu et de quelle manière cette même hiérarchie a cherché à préparer les opérateurs pour ces futures auditions devant les enquêteurs. Des faits qui logiquement ont entraîné l’ouverture d’une enquête pour violation du secret de l’instruction.  

Ce que l’on avait par ailleurs peut-être déjà oublié, c’est la promesse du secrétaire d’État à la mer, Hervé Berville, suite aux révélations du journal Le Monde rendant public les communications entre les naufragé·es et les opérateurs du Cross, qui avait annoncé vouloir faire toute la lumière sur ce qu’il a qualifié de « manquement ou erreur » et a promis « une enquête interne ». Cette enquête interne n’a jamais eu lieu.

A l’horreur du naufrage du 24 novembre 2021 s’ajoute donc désormais la volonté des autorités politiques et militaires d’échapper à leurs responsabilités et ainsi construite l’impunité. Faut-il ici encore rappeler les propos de Marc Bonnafous, directeur du Cross en novembre 2021, à propos des deux survivants qui ont témoigné des circonstances du naufrage : « Sincèrement les deux mecs… j’aurais préféré qu’ils soient morts. » ? No comment.

Pour les autorités françaises et britanniques, les vies des personnes exilées ne comptent pas. Vivant·es, les exilé·es sont considéré·es comme indésirables et les autorités veillent « à leur rendre la vie impossible ». « Leur rendre la vie impossible », ce sont les propres termes du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Et quand les exilé·es survivent à des naufrages, comme cela a été le cas des deux rescapés du naufrage du 24 novembre 2021, les autorités regrettent qu’ils ne soient pas morts, comme l’a exprimé l’ancien directeur du Cross, Marc Bonnafous.

Ni oubli, ni pardon

Les 27 personnes décédées et les 4 personnes disparues lors de ce naufrage sont venues s’ajouter à la trop longue liste des personnes exilées mortes et disparues dans la zone frontière France/Belgique/Royaume-Uni. Mortes percutées par un véhicule sur l’autoroute A16, électrocutées par un caténaire sur le site Eurotunnel, asphyxiées dans la remorque d’un poids-lourd ou noyées dans le Channel.

Ces dernières semaines, à Calais et dans la région, ont été catastrophiques. Il y a deux jours, au moins deux personnes sont mortes noyées, à un kilomètre à peine de la plage d’Equihen, dans le Pas-de-Calais. Vendredi 17 novembre, deux personnes, de nationalité turque, sont mortes après avoir été percutées sur la rocade portuaire de Calais. Le 13 novembre dernier, Mohammad, un homme soudanais âgé de 22 ans est mort suite à une agression au couteau, à Calais.

Au moins 22 personnes exilées sont mortes depuis le 1er janvier 2023, à Calais et dans la région. Depuis le naufrage du 24 novembre 2021, ce sont au moins 47 personnes qui sont décédées à la frontière. Et depuis 1999, ce sont au moins 387 personnes qui sont décédées en tentant de rejoindre le Royaume-Uni. Cette frontière a tué et continue à tuer.

Ce soir, nous marchons pour rendre hommage et demander justice non seulement pour les victimes du naufrage du 24 novembre 2021, mais aussi pour toutes les personnes exilées mortes en tentant de rejoindre le Royaume-Uni, et également pour toutes les personnes mortes et disparues aux frontières, à Briançon, à Irun, en mer Méditerranée et en mer Égée, dans le désert du Sahara et ailleurs.

Ni oubli, ni pardon ! Justice et liberté de circulation !”

Lors de la marche commémorative, le 24/11/23, à Dunkerque (Crédits : Maël Galisson)

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Maël Galisson (27 décembre 2023). “Justice pour les victimes du naufrage du 24 novembre 2021 !” Calais, frontière meurtrière | Calais, deadly border. Consulté le 22 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/vfg7


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